Medellín
14 décembre 2021

La chanson de Neandertal

Jony Alexander Vargas

Nous, humains, avons cette tendance voire ce besoin de partager nos vies, qu'il s'agisse d'événements choquants ou quotidiens.

This image shows a group of people gathered around a large bonfire.

Photo by Alex McCarthy for UNSPLASH.

Qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains ? Des scientifiques les plus endurcis aux poètes les plus fous, nombreux sont ceux qui ont tenté de déchiffrer ce qui nous différenciait des autres espèces. Bien que les conclusions divergent, tous s'accordent à dire qu'une part fondamentale de notre humanité réside dans notre désir de conter des récits.

Des milliers d'années auparavant, dans les grottes habitées et peintes par des humains primitifs, notre parent le plus éloigné, l'homme de Neandertal, a initié les prémices d'une telle tradition orale autour des braises d'un feu de camp. Depuis, de la découverte de l'imprimerie au post Facebook, nous, les humains, avons cette tendance voire ce besoin de partager nos vies, qu'il s'agisse d'événements choquants ou quotidiens.

Cette tendance de l'être humain n'est pas passée inaperçue aux yeux de ceux qui ont eu intérêt à unifier, normaliser, contrôler ou standardiser les Hommes. En effet, depuis cet âge primitif, nous avons cherché à créer des récits cohérents et unificateurs, tout en essayant d'effacer les points de rupture et ceux ne méritant pas d'être rappelés.

Dans cette même logique, si les formes, les techniques et les outils employés pour conter notre histoire se sont progressivement raffinés et diversifiés, il en va de même pour les méthodes visant à contrôler et à normaliser les récits. Ainsi la tradition orale a-t-elle effacé l'existence "d'outsiders" ; la presse, quant à elle, est passée d'un instrument de communication à un instrument de propagande dans de nombreux cas. Malgré cela, les humains ont continué à partager et à raconter leurs histoires librement, sans crainte de surveillance, en chantant leurs chansons spontanément.

Mais soudain est apparu un outil qui promettait de nous rapprocher les uns des autres, qui proclamait sa capacité à rendre le monde plus familier, à nous offrir une feuille blanche, interactive et multimédia sur laquelle nous pourrions inscrire tout ce qui nous traverserait l'esprit. Nous pouvions l'utiliser pour partager instantanément nos pensées avec n'importe qui sur la planète, car, tout comme la narration est fondamentale pour notre être, le besoin de partager et de se sentir partie prenante de quelque chose de plus grand que soi l'est aussi. Tout à coup, la narration est devenue l'activité à laquelle nous consacrions le plus de temps, et comment ne pas le faire ? Nous avions à portée de main de multiples techniques narratives qui nous faisaient ressembler à Borges, mais en plus célèbre. Nous sommes les maîtres de notre propre narration, n'est-ce pas ?

Néanmoins, comme au cours d'autres développements historiques, un besoin de contrôler ces récits s'est fait ressentir. Alors que cela s'est initialement concrétisé en un contrôle de cette page blanche qui n'est autre que le mur de Facebook, aujourd'hui, les outils qui ont été développés dans ce but sont si puissants et si peu compris que notre récit, loin de montrer les possibilités infinies de l'être, se trouve standardisé.

Dans la quête de ce qui rend les humains différents des autres espèces, nous avons fini par trouver le moyen de nous rendre -nous, êtres humains-  identiques. Je me demande si, au lieu de surveiller et de normaliser, la technologie ne devrait pas être utilisée pour donner une voix à tous les récits.

Jony Alexander Vargas lives in Medellín and is a graduate of the University of Antioquia, where he studied psychology. He currently works as a mentor at COMFAMA.