L'Edgelands Institute a rencontré l'architecte et urbaniste Christina Leigh Geros pour discuter de la manière dont les sols profonds et les sols arides créent un ensemble de relations politiques, sociales et écologiques.
Edgelands s'est entretenu avec Christina Leigh Geros, architecte, paysagiste et urbaniste qui enseigne dans le programme d'architecture environnementale du Royal College of Art de Londres. Ses recherches portent sur la manière dont la relation entre les sols profonds et les sols arides crée un ensemble de relations politiques, sociales et écologiques. Avant d'occuper son poste au Royal College of Art, Geros a travaillé sur les problèmes d'inondation urbaine à Jakarta, en Indonésie ; elle a continué à s'engager dans des projets climatiques et neuro-écologiques en relation avec la mousson.
Infrastructure : du physique au virtuel
Au cours de la dernière décennie, M. Geros a été témoin d'un changement extraordinaire dans la manière d'apprendre et d'enseigner l'architecture. "Lorsque j'ai commencé à exercer, lorsque nous parlions des villes, nous parlions de la forme : formelle, concrète, des infrastructures", explique M. Geros. Aujourd'hui, cependant, la conversation s'est centrée sur l'infrastructure numérique, en mettant l'accent sur la manière dont nos relations sociales sont maintenues et structurées par l'internet des objets et l'espace virtuel. "Il y a dix ans, il était question de différents systèmes énergétiques, de différents systèmes de transport, de différentes densités de bâtiments", et bien que cela existe toujours, "on se concentre beaucoup plus sur les questions de sécurité et de santé, qui sont certainement devenues un thème important au cours de l'année écoulée". Bien qu'elle n'ait jamais été elle-même une adepte des villes intelligentes, Mme Geros reconnaît que le mouvement des villes intelligentes a eu un impact profond sur l'urbanisme, où les questions de sécurité et de relations numériques ont été placées au premier plan de la conversation. "Ce que j'ai constaté, c'est qu'au cours des cinq dernières années, l'importance [du numérique] et la manière dont il structure le monde ont été de plus en plus reconnues", explique-t-elle. Cette évolution a coïncidé avec une décennie de crises sécuritaires mondiales : Geros cite l'exemple de l'année 2001, qui a été marquée par la persistance d'un imaginaire occidental dans lequel les problèmes de sécurité physique et numérique étaient considérés comme n'existant que dans certaines parties du monde. "Ces dernières années, cependant, nous ont montré que ce n'était pas vrai : nous sommes tous liés à un système, inextricablement liés à lui, que nous le voulions ou non. Les programmes d'études urbaines et d'urbanisme ont été contraints de s'intéresser directement aux mouvements sociaux et de réfléchir de manière critique à la relation entre l'engagement social et l'espace urbain.
Systèmes numériques et sécurité à Jakarta
Comme Mme. Geros a beaucoup travaillé avec les communautés locales en Indonésie, nous lui avons demandé de nous en dire un peu plus sur son expérience et ses réflexions vis-à-vis de la numérisation du pays. "Jakarta est un endroit spécial pour plusieurs raisons", a-t-elle souligné. Sur le plan numérique, les habitants de Jakarta sont très investis dans les nouvelles technologies de communication, et ce, dans tous les groupes socio-économiques : "La plupart des gens seraient choqués de voir à quel point les téléphones portables, Internet et les réseaux sociaux sont accessibles." L'Indonésie a une culture basée sur les histoires ; les gens communiquent beaucoup. "Ainsi, les réseaux sociaux et autres outils technologiques se développent à un rythme qui dépasse celui de la plupart des autres pays... Dans mon travail, nous avons constaté que les gens utilisaient de nouvelles applications plus rapidement que partout ailleurs. Ils ont une grande facilité à passer d'un mode de communication à l'autre." En ce sens, Geros considère que les Indonésiens ont une relation exceptionnelle avec les médias numériques. Ils ont également une compréhension très spécifique de la sécurité qui y est liée: tous ont conscience de la surveillance qui s'infiltre dans les réseaux sociaux, mais personne ne la craint. "Ils jouissent de la liberté d'expression, ils s'accrochent à leurs droits de manière catégorique et se sentent habilités à dire et à faire ce qu'ils veulent. Je n'ai donc jamais vraiment rencontré quelqu'un qui s'inquiétait de la sécurité numérique comme je le vois dans d'autres endroits du monde, ce qui me fascine d'ailleurs." Mme Geros a toutefois noté une exception à cette règle : lorsqu'elle travaillait à l'extérieur de Jakarta (où elle concevait des systèmes permettant d'utiliser les médias sociaux pour signaler en temps réel les incendies, les inondations et autres catastrophes naturelles), les habitants faisaient preuve d'une certaine réticence à l'idée que leurs données soient captées, et les rendent identifiables.
En ce qui concerne les spécificités locales du contrat social en Indonésie, Geros a souligné les solides réseaux de confiance et le sens de la communauté qui s'étend au-delà des groupes socio-économiques. Les marchés informels représentent environ 70 % de l'économie de Jakarta, et il est simple de reconnaître que le système est soutenu par des travailleurs que les locaux rencontrent au quotidien : les chauffeurs de taxi, les nettoyeurs, etc. Cela est vrai dans de nombreuses régions du monde, mais dans la société indonésienne, la reconnaissance de cette dépendance mutuelle se manifeste même dans la politique gouvernementale.
L'architecture et le contrat social
Les relations sociales au sein de l'espace urbain ont toujours fasciné Geros. "L'architecture, en particulier celle d'une ville, donne forme à différentes interactions sociales, dans diverses cultures et endroits du monde." remarque-t-elle. Les distinctions traditionnelles entre espace public et espace privé perdent de leur pertinence à mesure que le numérique transforme la notion "d'accessibilité". Les réseaux sociaux et les technologies numériques modifient la façon dont les individus habitent l'espace public. Par exemple, en Occident, nous considérons souvent les réseaux numériques comme des réseaux d'exclusion puisque tout le monde n'y a pas accès ; à l'inverse, dans le cas de l'Indonésie, Geros voit le numérique comme un outil de démocratie. Si certains individus peuvent avoir des difficultés à utiliser la technologie, "les ménages sont tellement intergénérationnels -personne ne vit seul, personne n'est isolé- qu'il y a toujours quelqu'un autour [pour aider]." Pour Geros, "considérer les médias numériques comme outils d'exclusion revient à une démarche très occidentale de comprendre" le pouvoir du numérique.
Sur le plan disciplinaire, Geros voit une différence entre le contrat social urbain et le contrat social de manière plus générale. "Tout le monde a un contrat social, peu importe l'endroit", mais de son point de vue, le contrat social urbain est davantage axé sur les équipements collectifs des villes. Il convient dès lors de déterminer qui a des droits sur ces ressources, qui n'en a pas, et comment nous nous engageons les uns avec les autres. "C'est là que des thématiques comme les villes intelligentes entrent vraiment dans la conversation", ajoute-t-elle. "Je pense aussi qu'il existe une sorte de contrat purement urbain, entre différents types d'espace urbain ou de systèmes urbains." Ce contrat n'est pas nécessairement centré sur l'Homme, mais plutôt sur les composantes de la ville qui ont un contrat social les unes avec les autres, et qui forment ainsi un espace de gouvernance.
Toute ville a une dimension sécuritaire, que cela concerne ses espaces ou ses systèmes. En tant que designer, aborder cet aspect de l'urbanisme est une nécessité. Avec la surveillance accrue des espaces publics dans le monde, les questions de sécurité ont pris une place plus importante dans le discours public. Aux États-Unis, l'une des réponses à ces préoccupations sécuritaires a été l'inclusion de la communauté dans les processus de conception et d'examen liés à la sécurité. Néanmoins, "d'après mon expérience, cela n'a été que du vent. En réalité, ce sont les propriétaires privés ou le gouvernement qui prennent les décisions". Si la conception participative fait l'objet d'un débat permanent, "elle est rarement mise en œuvre". La prise de décision en groupe est extrêmement difficile, et Geros raconte qu'il y a souvent un fossé entre les intérêts publics et les intérêts privés dans un projet. "La communauté dit souvent qu'elle a des problèmes qu'elle aimerait voir résolus par un projet particulier. Pour autant, ledit projet n'est pas réellement destiné à résoudre ces enjeux." Par exemple, si une entreprise privée ou le conseil municipal envisage de construire un espace de marché, et que les habitants préfèrent un centre communautaire, "s'il n'y a pas de financement ou de désir pour un centre communautaire au niveau du conseil, [cet espace] sera un marché." Les initiatives participatives sont donc constructives lorsque les besoins privés et publics s'alignent, mais lorsqu'ils ne le font pas, "ce ne sont que des paroles en l'air et c'est ce que j'ai pu observer à maintes reprises". La plupart du temps, "le public ne demande pas une nouvelle architecture ni un nouveau bâtiment. Ce que le public veut, c'est que ses problèmes quotidiens soient résolus, que les fonds soient consacrés à l'amélioration des programmes et des systèmes urbains". En ce sens conclut Mme. Geros, "l'architecture et la conception participative ne font pas bon ménage."
À la suite de la pandémie, il a également été reconnu que les préoccupations sanitaires devaient être prises en compte lors de la conception de l'espace urbain. Ici, Geros ne peut s'empêcher de s'interroger sur les moyens considérables à mettre en place: "Comment cela se produirait-il exactement ? Si nous considérons la quantité de systèmes qu'il faudrait changer pour prendre ce type de décisions, un pareil projet semble quelque peu impensable".